Place des martyrs de la résistance
Me revoilà sur le parc de la butte de ste Anne, les enfants n’ont pas encore repris le chemin de l’école, ils n’ont pas encore oublié la joie d’être en vacances, non ça ne s’oublie pas, moi par contre j’ai oublié mes lunettes sur la table du salon.
Donc ce sera une partie d’écriture presqu’à l’aveugle, de toutes manières les connexions avec le cerveau central ne sont pas très bonnes non plus.
J’ai commencé ma planche « prêche-océan », j’ai pyrogravé des phrases d’introduction du Septentrion de Calaferte. « rivé à l’infini d’où tout arrive… » Un hymne au féminin, à la création pure.
Le ciel est nuageux, le fond de l’air est bien plus frais, ça sent la fin de l’été, en sachant que mon nez peut bien se tromper, nous ne sommes à l’abri de rien, ni de la canicule, de l’ouragan, de la tempête de neige ou de l’été indien.
Je viens d’éternuer, ça y est, je commence à enrhumer, je ne pourrais plus parfaire mon bronzage, c’est con.
Y’a bien du monde dans le parc, des mômes, quelques mères de famille, la trentaine, plutôt bien roulées.
Des enfants parlent de l’arme atomique, du dictateur nord-coréen.
Un jeune garçon d’une dizaine d’années semble particulièrement bien informé sur tous ces sujets. Il dit qu’il faut que Donald Trump se calme, il craint l’escalade et la guerre nucléaire.
Deux jeunes pépettes l’écoutent, admiratives, waouh, le mec.
« quand on va chez le coiffeur, il y a douze coupes possibles, douze coupes ».
Je m’aperçois que la manche de ma vieille veste polaire commence à craquer au niveau du coude.
Qu’ai-je fait avec mes coudes, à part lever des verres, beaucoup de verres pour un vieux polaire d’une quinzaine d’années.
Z est au travail, dommage, j’aurais bien fait crac-crac et autres fantaisies avec elle, le boulot c’est souvent antisexuel.
Je me mets les doigts dans le nez, le récure, j’ai un peu honte mais c’est bon.
Un avion comme un ange passe.
Un père de famille s’est tatoué le fanion du FC Nantes sur le mollet droit, il prend sa fille en photo.
Il éditera la photo et l’encadrera après avoir peint les bords
en jaune et vert.
Des ados jouent sur le terrain de foot-basket, le revêtement de sol est déchiré par endroits, ça ne semble pas trop les déranger.
J’aime bien les pins penchés du parc.
Quand le soleil se cache, il fait frais, je trouve.
Une mère de famille dit à son petit « non, on n’abîme pas les plantes ».
Un autre bambino ouvre sa chemise pour se mettre torse nu,
elle lui dit « n’importe quoi ».
Je vais remettre mon polaire, non,
le soleil revient, non il a disparu à nouveau derrière un nuage.
Ici, j’ai une belle vue sur les immeubles de Rezé, ce n’est pas qu’ils soient très jolis, mais ce sont les immeubles de mon enfance.
Mon enfance est de l’autre côté du fleuve, je l’ai laissé là-bas.
Un avion passe avec un fuselage peint à l’arrière façon cochonou,
on a les références qu’on peut.
« papa tu peux bouger le pont »
« non, je m’occupe de ton frère ».
Le pont c’est un jeu, installé depuis peu dans le parc avec des marches en bois reliées à des cordes.
Est-ce que je peux bouger le pont qui me relie à mon enfance, ce pont mental ?
J’ai du avancer sur 10 centimètres carrés de la planche,
pas un très grand pas, on dit que le plus dur c’est de commencer.
Ca tâtonne.
De nombreux adolescents écoutent de la musique sur des enceintes portables.
Macron a sorti aujourd’hui sa nouvelle loi travail.
Ce n’est pas très évident à relier ces informations.
C’est chouette d’avoir un œil sur son enfance, même lointain.
« Allez jouer, c’est aux grands de faire attention »
dit le papa les yeux rivés sur son smartphone samsung 7.2.
S’ ils construisent l’arbre aux biberons,
ça masquera un peu mon enfance, mon enfance sera moins nette forcément.
Je vois bien quand je me suis assis comme ça sur le banc centaure que j’ai pris du bide, j’ai un gros bide.